Editorial

Interroger les espaces sociaux de formation humaine : une reconfiguration des formes d’éducation et des dynamiques locales en contextes pluriels


Date de publication : 01 July 2023

Auteur(s)

Stéphanie Gasse , Université de Rouen Normandie

Toute éducation relève d’une éducation formelle au sens d’être intentionnelle, mais le scénario peut être différent selon les contextes. Une conception élargie de l’éducation intègre différents espaces sociaux de formation humaine. L’espace scolaire est marqué par la formalité, la régularité, la séquentialité mais lorsque la discontinuité, l’informalité et l’alternative caractérisent une action éducative, réalisée en dehors du système institutionnel dominant, on assiste à une reconfiguration de la forme. Coombs définit « toute activité éducative organisée en dehors du système d’éducation formelle établi, exercée séparément ou en tant qu’élément important d’une activité plus large » (Coombs, 1989), sous l’angle de l’éducation non formelle. Le terme, loin de faire consensus, se définit lui-même par la négation de la forme. Il porte en lui l’opposition par l’alternative pour différents publics que le droit à l’éducation n’atteint pas face à la forte déperdition scolaire et l’abandon, pour répondre aux besoins éducatifs de jeunes privés d’écoles ou exclus précocement ; une alternative ancrée dans le contexte culturel et local qui se saisit de la « particularité des situations et de la singularité des cas » (Gasse, 2014). 

Les espaces investis par l’éducation non formelle sont multiples. Ils se veulent complémentaires des espaces scolaires, additionnels ou de substitution, soit au sein des organisations de la société civile, des organisations non gouvernementales, qu’ils relèvent d’initiatives citoyennes, communautaires, des associations de quartiers, des médias, etc. La société civile, les ONG et les organisations communautaires investissent les espaces sociaux de formation lorsqu’ils sont désertés par les institutions éducatives, en tant que médiateurs, facilitateurs pour la communication, diffusion, sensibilisation et construction de savoirs, dans des démarches d’apprentissage informels ou non formels. Les notions d’espace et temps sont dès lors indissociables et répondent à davantage de flexibilité, d’occasionnalité, de spontanéité, de capacité d’adaptation, de créativité pour des activités d’instruction non structurées ou encore informelles (Evans, 1981), respectant l’Autre dans sa complexité, richesse, pluralité, dans son potentiel. Une espérance critique dans la capacité de l’être humain à transformer la situation dans laquelle il se trouve pour permettre et construire des transformations sociales émancipatrices (Freire, 2001 ; Gadotti, 2014). 

Le développement des technologies de l’information et de la communication a permis de créer de nouveaux espaces de connaissances appréhendés en différents lieux, hybridés, en rupture avec les temporalités classiques de l’enseignement et des apprentissages en présentiel (articulant temps synchrones et asynchrones, parfois de manière nomade). Ces espaces humains et techniques de formation reconfigurent les formes d’éducation en de multiples opportunités d’apprentissage avec pour défi de tendre vers l’effectivité du droit à une éducation pour tous et de qualité. Ils invitent à recentrer le débat sur les liens entre les conceptions multiformes de l’éducation et le projet de société poursuivi. 

Dans cet esprit, nous interrogeons au sein de ce numéro les différents espaces sociaux de formation humaine et les conceptions multiformes d’éducation au sein des épistémologies du sud (Sousa Santos, 2011) afin d’agir sur les possibilités (potentialités) et sur les capacités (puissances). « Il s’agit ainsi d’accroître symboliquement l’importance des connaissances, des pratiques et des acteurs en vue d’identifier les tendances du futur, sur lesquelles il est possible d’augmenter la possibilité d’espérance contre la probabilité de frustration » (Landemaine, 2018). 

Le présent numéro s’articule en trois axes et rassemble six contributions. 

Le premier axe dessine le rôle que peuvent jouer les technologies de l'information et de la communication dans cette ouverture des possibles en matière d’éducation et de formation dans et hors l’école, en tant que créateurs de nouveaux espaces de connaissance, de nouvelles interactions, d’accessibilité à une éducation pour tous. La contribution de Aquino discute à partir du programme télévisuel « Verso et Reverso TV » (projet de la Fondation Educar, Ministère de l’Éducation du Brésil, 1987-1990), le développement de la formation continue des enseignants et éducateurs à destination des jeunes et des adultes dans une perspective interculturelle en tenant compte des différences, des identités culturelles et des appartenances ethniques des sujets dans une société marquée par les inégalités. Les contributions de Belhaj et Nejdi s’intéressent aux perceptions des enseignants marocains quant à l’évolution de leurs compétences et pratiques professionnelles liées à l’intégration des TIC dans un dispositif de formation continue en ligne « MOOC CerticeScol », montrant à travers une large enquête, que la formation continue reste indispensable au développement des compétences mais n’assure pas toujours aux participants une bonne gestion des espaces relationnels au sein du groupe pour faire face à l’isolement et l’abandon. 

Le second axe s’intéresse aux dynamiques locales et réappropriation par les territoires en contexte décentralisé des enjeux éducatifs. Une lecture intégrative du territoire qui s’inscrit dans la formalisation des actions socio-éducatives à travers les enjeux sociétaux et défis majeurs à relever en matière d’ODD (Objectifs de développement durable) en termes d’inclusion et d’éducation à l’environnement et au développement durable. Les contributions de Azoury et Zakaria ont pour objectifs d’analyser l’agir enseignant, à travers l’incidence des gestes évaluatifs sur l’apprentissage des d’élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP) intégrés en classe ordinaire au Liban, et de promouvoir la formation des enseignants à l’inclusion. Les auteures invitent à des préconisations en termes de démarche curriculaire en formation initiale des enseignants, de recrutement des personnels, de suivi de formateurs spécialisés. L’article de Ondobo s’intéresse à la mobilisation des savoirs au sein des communautés indigènes, à leurs transpositions didactiques au Cameroun à travers une enquête menée auprès d’enseignants, d’élèves, ainsi que des populations issues des communautés indigènes. L’auteur envisage les passerelles entre savoirs scolaires et pratiques sociales, comme stratégie d’enseignement afin d’optimiser l’appropriation intellectuelle des savoirs scolaires en éducation à l’environnement et au développement durable et leur transfert dans les contextes de nature extrascolaire.

Enfin, un troisième axe positionné sur la polarisation persistante entre l’éducation formelle (lieu par excellence du savoir et des apprentissages, de l’acquisition des compétences) et l’éducation non formelle (intentionnelle, flexible, non structurée) montre à travers deux contributions les difficultés majeures rencontrées au sein des deux systèmes. Les contributions de Faye, Sene, Cissé, D. BA, A. Ba, et Ndiaye examinent le rôle de la formation dans la lutte contre le phénomène de l’attrition dans l’enseignement du primaire au secondaire au Sénégal. A travers une enquête de forte amplitude (programme APPRENDRE – AUF déployé dans 26 pays) réalisée auprès d’enseignants répartis au sein de neuf régions administratives au Sénégal, le collectif de chercheurs cherche déterminer si les types de formation initiale et de préparation que les enseignants reçoivent avant de commencer à enseigner ont un impact sur leur décision d’abandonner l’enseignement. Enfin la contribution de Touré, interroge la « stratégie du faire faire »et les déterminants de la persistance de l’analphabétisme en Côte d’Ivoire. L’auteur souligne la faiblesse des politiques publiques, peu incitatives, pour les populations non scolarisées, la persistance des pratiques d’alphabétisation traditionnelles dans les centres dédiés, là où les populations cibles ont plutôt besoin d’alphabétisation fonctionnelle pour améliorer leurs activités génératrices de revenus.  


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Pour citer ce document

Gasse, Stéphanie. (2023). Editorial : Interroger les espaces sociaux de formation humaine : une reconfiguration des formes d’éducation et des dynamiques locales en contextes pluriels. frantice.net, Numéro 21 - Juillet 2023. Récupéré du site de la revue : http://frantice.net/index.php?id=1876.
ISSN 2110-5324




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